our body, à corps ouvert
our body, à corps ouvert
Our body
mardi 14 juillet 2009
Ce dossier suivant l’affaire a été réalisé à partir d’un ancien document des cahiers du CCNE, scanné par Fabien, sur une demande de saisine du CCNE en 2007, et d’un article du Monde d’Avril 2009.
Cahiers du CCNE, 54, 2008
Saisine adressée au Comité par monsieur Guillaume BOUDY, Directeur général de la Cité des sciences et de l’industrie, à propos du projet d’exposition “Body World”, à vocation anatomique.
La Cité des sciences et de l’industrie envisage de présenter l’année prochaine à Paris l’exposition Body Wolrd proposée par le Dr. Gunther von Hagens. Cette exposition à vocation anatomique, est composée d’organes et de corps plastinés.
Notre décision n’est pas encore arrêtée, en particulier par ce que nous tenons à ce qu’elle soit préalablement éclairée par une réflexion approfondie sur le enjeux éthiques que soulève la présentation au public d’une telle exposition.
C’est pour cette raison que je sollicite un avis du Comité consultatif national d’éthique. (29 Juin 2007)
Réponse du Comité :
Vous nous avez saisi à propos du projet d’exposition “Body World” de G. von Hagens, constituée d’organes et de corps humains “plastinés” à la Cité des sciences et de l’industrie.
Les contradictions avec la loi française sont évidentes; la commercialisation du corps fait l’objet d’une interdiction majeure; or cette mise en scène comporte un aspect commercial non équivoque. Le consentement antérieur des sujets ne parît pas établi de façon irréfutable. Mais si l’on s’en tient au plan strictement éthique, nous émettons clairement des réserves.
1.Tout d’abord des réserves de principe sur le corps humain “marchandise de spectacle” et sur le mélange des fonctions.
La première ambiguïté tient au fait que le “contrat” n’est pas très clair : s’agit-il d’une exposition artistique ? Scientifique ? Pédagogique ? Spectaculaire et visant au sensationnel ? Un peu comme dans les documentaires publicitaires, il y a un mélange de plusieurs fonctions qu’il faudrait au minimum expliciter ; le non dit majeur est la prime au voyeurisme sous couvert de science et de pédagogie qui permet le camouflage de la transgression.
Dans ce contexte de confusion des genres il nous semble que la prétention pédagogique et scientifique de l’exposition ne correspond pas à sa réalité. S’il s’agit notamment d’une éducation anatomique du public, on sait qu’un dessin est toujours plus explicite qu’une photo, et il est probable que des figures de plastique illustreraient mieux ce qu’on souhaite enseigner. C’est d’ailleurs pour un regard déjà “instruit”, d’étudiants en médecine par exemple, capable de déchiffrer la très grande complexité du détail de ce qu’il voit, qu’une telle exposition est vraiment instructive.
Dans tous les cas, et plus encore si la visée à l’égard du grand public entend être éducative, voire “préventive”, une démarche pédagogique suppose un espace scientifique où le contrat de lecture soit clair, et où d’autres finalités ne troublent pas la démarche.
Ainsi, pour le CCNE si un corps donné en spectacle peut avoir un intérêt ludique, mettre l’accent sur son aspect pédagogique et scientifique nous semble équivoque.
2.Ensuite elle introduit un regard techniciste sur les corps.
Bien que l’origine des corps soit dite “certifiée”, ces corps sont volontairement désingularisés, anonymes, et le processus de plastination est présenté sous un jour technique et industriel. On est dans une approche qui n’est pas sans rappeler le traitement des cadavres dans les camps d’extermination lors de la dernière guerre. Il nous semblerait important de rappeler que chacun de ces corps a été une vie singulière, qu’il faudrait pouvoir sinon raconter du moins nommer — et que la donation du corps ne saurait effacer. De ce point de vue, il y a une contradiction entre la morale explicite de l’exposition, nous mettre en face de notre mort, de la fragilité de l’humanité nue des corps sans étiquette sociale, et la morale véhiculée par ce traitement techniciste des cadavres.
3.D’autre part une troisème série de questions porte sur l’image du corps, l’image de l’homme.
L’image de l’homme, d’abord. Toute représentation du corps véhicule une anthropologie implicite, et nous fait voir le coeur d’une culture. Le désenchantement (ou plutôt le désensorcellement) des corps à l’époque d’Ambroise Paré, par exemple est indissociable d’une découverte émerveillée. Si l’exposition met en scène cette histoire de la représentation des corps, il ne suffit pas de la situer naïvement dans une progression technique, il faut encore la problématiser dans l’histoire des idées. La prise de parti de cette exposition interroge donc, et peut heurter, des convictions profondes. Elle risque de nourrir un débat polémique : est-ce l’objectif recherché par la Cité des sciences ?
4.Enfin, la représentation de la mort.
Nous ne regardons jamais la mort en face sans un voile représentatif. il serait naïf, faux et sans doute dangereux de laisser croire au public qu’il n’y avait jadis qu’une occultation de la mort et que nous parvenons enfin au dévoilement de la Vérité sur l’homme, dans sa “présence réelle” comme si montrer des cadavres ou des têtes de mort n’était pas une manière très efficace et très ancienne de cacher encore la mort. Si l’engouement public pour ces nouvelles reliques n’est pas encore un nouveau culte, il manifeste une culture de la technique sans regard critique. L’idée que l’on peut approcher la mort de l’autre sans risque suppose que cet autre soit tellement anonymisé qu’il n’y a plus de référence à quelque dignité humaine que ce soit. Or bien qu’anonymes, les corps représentés n’en ont pas moins été des individus : leur exhibition (et leur réification) constituent une atteinte à leur identité, et donc à leur dignité. La plupart des civilisations ont cherché à éviter de telles formes de manque de respect pour une dépouille réelle. Il parait donc difficile de considérer qu’une telle exposition satisfait à une question éthique de la personne humaine. Autrement dit, ou la mort de l’autre est bouleversante et cet autre existe, ou la mort de l’autre est une représentation virtuelle (d’autant plus virtuelle que la posture est celle d’un vivant) et cet autre a la même virtualité. Vouloir relier le réel et le virtuel ne peut que nous rapprocher du mépris de nous-même en tant qu’humain.
Ainsi pour le CCNE mettre exclusivement l’accent dans une Cité des sciences sur l’aspect pédagogique et scientifique d’une telle exposition, alors qu’il existe une forte dimension commerciale et spectaculaire nous semble poser une sérieuse question.
Je joins à cette lettre l’expression de deux membres du Comité qui ne sont pas d’accord avec notre réponse.
Deux membres, tout en déplorant certaines des mise-en-scènes, considèrent que cette exposition n’est pas répréhensible d’un point de vue éthique, qu’elle a un véritable intérêt pédagogique, scientifique et culturel, et qu’elle a par conséquent sa place dans une Cité des sciences (à Paris comme ailleurs), à condition de confirmer et d’indiquer clairement que les corps exposés ont fait l’objet d’un don pour une exposition et d’en interdire l’accès aux enfants (de mopins de 13ans ?) non accompagnés. (23 novembre 2007)
Le Monde 23 avril 2009
L'exposition anatomique " Our body, à corps ouvert " est suspendue à Paris
Les cadavres de l'exposition " Our body, à corps ouvert " sont mis en scène. BRUNO AMSELLEM
Mardi 21 avril, la justice a interdit la manifestation, présentée depuis le 12 février dans la capitale, pour atteinte illicite aux droits humains.
L'exposition anatomique de vrais corps humains " Our body, à corps ouvert ", présentée depuis le 12 février à l'Espace 12, boulevard de la Madeleine à Paris, a été interdite mardi 21 avril par le juge des référés au tribunal de grande instance de Paris, Louis-Marie Raingeard de La Blétière. La société Encore Events, qui organise l'événement, est sommée d'interrompre sous 24 heures "l'exposition de cadavres et pièces anatomiques d'origine chinoise ", sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard. Le juge exige qu'elle fasse dresser la liste des sujets exposés par un huissier de justice dans les mêmes délais, et qu'elle les séquestre, afin de pouvoir les présenter aux autorités françaises compétentes, sur leur demande. Sous peine d'une astreinte supplémentaire de 50 000 euros par infraction constatée.
Cette exposition d'écorchés, très controversée, propose 17 corps dépouillés de leur peau et parfaitement conservés : une leçon d'anatomie aussi fascinante que révulsante. " Le grand public est invité à découvrir ce qui était jusque-là réservé au monde médical, prévenait notre journaliste, Sandrine Blanchard qui avait vu l'exposition à New York avant qu'elle ne soit montrée à Lyon (Le Monde du jeudi 29 mai 2008). Tout y est, chaque muscle, chaque artère, chaque vaisseau, chaque viscère. Tous les systèmes - digestif, respiratoire, cardio-vasculaire, nerveux... Et tout est vrai. "
Le procédé de conservation par plastination, ou imprégnation polymérique, a été mis au point dans les années 1970-1980 par l'anatomiste allemand Gunther von Hagens. A Paris, ni le Musée de l'homme ni la Cité des sciences de La Villette n'ont accepté d'accueillir l'exposition dans leurs locaux. Le conseil scientifique du Palais de la découverte refusait lui aussi, évoquant des raisons éthiques. Ce qui avait conduit Pascal Bernardin, gérant d'Encore Events, à louer l'Espace 12 Madeleine.
SOUPÇONS DE TRAFIC
La première exposition du genre avait été montrée au Japon en 1995. D'autres, comme " Bodies ", " The Universe Within " ou " Bodyworlds ", circulent aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, et ont été vues par des millions de visiteurs. Après New York, celle-ci arriva en France en mai 2008, à Lyon, sous le nom d'" Our body, à corps ouvert ", amputée de la présentation des débuts de la vie et des foetus : elle y accueillit 100 000 visiteurs. Elle fut ensuite montrée à Marseille (35 000 visiteurs), avant Paris, où elle aurait enregistré en deux mois quelque 120 000 entrées, à 15,50 euros au plein tarif. Au point que Pascal Bernardin, qui produit aussi spectacles et concerts (U2, Police), envisageait de la prolonger dans le même lieu jusqu'au 4 octobre. Soulignant le caractère pédagogique de la manifestation, il se dit " sidéré par le jugement ", et précise que " l'exposition appartient à une société de Hongkong, laquelle travaille avec une fondation d'anatomie qui garantit que les corps proviennent de dons dans le respect des lois chinoises ".
Soupçonnant un trafic de cadavres de prisonniers ou de condamnés à mort, deux associations, Solidarité Chine et Ensemble contre la peine de mort, avaient assigné en justice, le 20 mars, Encore Events afin d'obtenir l'interdiction de la manifestation. Dans ses conclusions, le juge rappelle que " la loi ne prend pas en compte l'utilisation de cadavres dans un but de formation ou d'information du public ; qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société Encore Events poursuit un objectif commercial ; que l'ensemble des actes qu'elle a passés ou passe pour la tenue de l'exposition est affecté de nullité ". Se référant à l'article 16-2 du code civil, il précise que celui-ci l'autorise à prescrire toutes mesures propres à faire cesser une atteinte illicite au corps humain, y compris après la mort.
A la suite de ce jugement, Le Cavalier de l'Apocalypse, d'Honoré Fragonard (1732-1799), poursuivra-t-il son galop macabre au Musée de Maisons-Alfort (Val-de-Marne) ? Interrogé sur la présentation des écorchés du célèbre anatomiste, Christophe Degueurce, le conservateur du musée, relève la similitude de la présentation anatomique... mais pointe le problème de l'éthique : " On donne à voir un instantané de la science anatomique au XVIIIe siècle. Les corps qu'Honoré Fragonard a prélevés dans les hospices, il y a 250 ans, l'étaient à des fins d'enseignement. L'écart éthique est radical. "
Pascal Bernardin a fait appel du jugement.
Florence Evin
Mardi 21 avril 2009, la justice a interdit la manifestation, présentée depuis le 12 février dans la capitale, pour atteinte illicite aux droits humains.
L´argument de la société organisatrice Encore Events – le caractère scientifique et pédagogique de l´événement – n´a donc pas été retenu par la justice qui considère au contraire que « la présentation des cadavres et organes met en oeuvre des découpages qui ne sont pas scientifiquement légitimes, des colorations arbitraires, des mises en scènes déréalisantes » qui « manifestement manquent à la décence ».
Conclusion du TGI : « la visée pédagogique » ne permet pas tout.