Besoin d’art !
Besoin d’art !
Besoin d'art !
jeudi 23 décembre 2010
L’art n’est pas utile, pourquoi est-il vital ? Il répond à un besoin absolu de la subjectivité humaine. Le philosophe Michel Henry l'appelle le besoin de soi. Tout le monde a ce besoin. Il se manifeste souvent par le sentiment d'un manque à combler. Il y a en nous une impulsion, une énergie qui nous pousse à rechercher un équilibre, à s’adapter pour être plus, pour vivre une plénitude. Parfois, le processus se grippe, on ne sait pas si cela est la cause ou la conséquence de la maladie et de la marginalisation. J’ai vu par expérience que le moment artistique aide à remettre en route le processus de la vie.
Comment cela se fait-il ? A l'hôpital, l'artiste n'est pas sur une scène, il est au centre d'un groupe de patients ou au chevet du malade. Ces conditions favorisent naturellement un échange avec l'artiste. La possibilité de l’échange montre que le moment artistique est en réalité une affaire de don et de contre-don, de création et de co-création entre l’artiste et le récepteur. Il se crée un courant pendant l’échange, comme une onde d’amour spirituel, au sens platonicien d’Agapé. L’échange a force de maïeutique, il permet de verbaliser ce qui a été ressenti et de le faire descendre dans la conscience. Cela crée une connexion nouvelle dans le cerveau. C’ est vrai à l'hôpital, c'est aussi vrai dans un équipement culturel même si cela est moins visible. Je vais vous en donner trois exemples.
Le premier exemple est ce que j'ai vécu dimanche dernier à la Maison de la musique. Je suis venue pour le spectacle sur Philip Glass. Il y avait la projection du film Looking Glass de Eric Darmon, suivie d’un concert au piano par Jay Gottlieb. A la fin du spectacle, quelques personnes sont restées pour une rencontre avec Jay Gottlieb et Eric Darmon. Jay Gottlieb a clairement fait allusion à ce processus de don et de contre-don. Il avait ressenti que nous étions entrés dans l’œuvre et ceci l’avait porté. Mais inversement, la virtuosité de son interprétation de Philip Glass nous a mis en mouvement. L’impression générale était d’avoir atteint ensemble des sphères d’une rare spiritualité. Le fait de pouvoir échanger sur ce point a fait perdurer ce moment d'extase commun. J’ai senti que cela me permettait de métaboliser l’énergie qui avait circulé. Les questions des uns et des autres ont fait apparaître des éléments nouveaux de la personnalité de Philip Glass, mais aussi du travail de Jay Gottfield et de Eric Darmon. Je suis repartie chez moi avec un sentiment de plénitude.
Quelque chose de similaire s'est passé lors du concert du pianiste Makoto Ozone, organisé par la Maison de la musique à la maison de retraite, le 19 novembre dernier. Makoto jouait à la salle Gaveau le 20 novembre et il s'est arrangé pour arriver de Boston le 19 novembre au matin afin de jouer au CASH à14h30. On se faisait certes une joie de l'accueillir, en même temps, le personnel était sur les dents. Il a fallu réorganiser la vie du réfectoire pour installer le piano, accueillir les invités et l’artiste. Cela a mobilisé l’attention du personnel. Toutes les difficultés se sont effacées avec l’entrée de Makoto. La distinction personnel, résidents, invités a disparu. Il y avait simplement des hommes et des femmes. J’ai appris que des amateurs de jazz parmi le personnel et les résidents avaient vérifié sur internet si c’était bien lui, Makoto Ozone ! Ils avaient du mal à croire qu’une personnalité du monde musical vienne au CASH. A l’ouverture du concert, Makoto a créé tout de suite le lien avec le public en présentant lui-même ce qu’il allait jouer, parlant soit en anglais, soit en japonais et traduit par Aya, une jeune japonaise. Après nous avoir transportés sur les cimes de l’indicible avec un premier morceau de sa composition, puis joué de la musique brésilienne, Makoto s’est attaché à présenter des œuvres en relation avec la culture française, Chopin par exemple. Il a suscité la participation des résidents en demandant au public quels morceaux il souhaitait. Quelqu’un a demandé Mozart. Makoto a proposé de jouer Mozart, lorsqu’il reviendrait en France en 2012. Un résident s’est mis à chanter sur la musique de La vie en rose ; je l’ai rencontré plusieurs jours après, tout heureux, plein du souvenir du concert. A la fin du concert, des résidents et des membres du personnel se sont littéralement précipités pour demander des autographes. Makoto nous a dit avoir beaucoup reçu.
Les ateliers de pratique théâtrale qui se déroulent actuellement au SSR et en psychiatrie fonctionnent sur le même principe du don et du contre-don, de la création et de la co-création. Les comédiens partent d’une histoire initiale, puis d’autres histoires se tissent en résonance, avec la parole des patients. Au fur et à mesure des ateliers, on voit que la personne renoue avec elle-même, qu’elle découvre des ressources inexploitées. L'autre intérêt de ces ateliers est leur restitution le 23 décembre. Elle sera commune aux patients du SSR et de psychiatrie, en présence de familles et d'amis. Cela crée des liens inattendus entre ces services.
La rencontre avec l'artiste est une affaire de lien. Elle restaure des liens et en crée de nouveaux. Comment cela fonctionne-t-il ? Le 3 décembre, la Maison de la musique présente Tableaux d'une exposition. Dans ce concert, le pianiste russe Mikhail Rudy propose de faire revivre le dialogue entre les mélodies de Moussorgsky et les formes géométriques des tableaux que cette musique avait inspiré à Kandinsky. Cela part de l'expérience de Kandinsky. Il avait ressenti intérieurement que toute oeuvre possède une charge subjective et vibratoire. Cette charge subjective entre en résonance avec une autre oeuvre et plus encore, avec nos émotions. Pour Kandinsky, les charges subjectives d'une oeuvre sont les vibrations de l'âme. Elles ont un effet positif sur la subjectivité. Comme telles, le rythme, les harmoniques, les modes, les couleurs de l'oeuvre dégagent une énergie purificatrice et créatrice. Chacun d'entre nous, je pense en a fait l'expérience. Les peurs, les tensions, la fatigue, le repli sur soi s'évanouissent. Ils laissent la place à la joie, à un sentiment de beauté, d'enrichissement, à l'abondance de l'âme qui convie naturellement au partage dans l'unité. Cela donne envie d’agir. On voit au CASH, sur l’hôpital comme sur le secteur social que les personnes trouvent une aide dans la régularité des actions artistiques. Cela leur permet de mieux affronter l’épreuve de la maladie et de l’exclusion. La présence de l’artiste change l’ambiance d’un lieu, donne un autre rythme à la vie, elle apporte de l’oxygénation et de la lumière.
L'art véhicule une énergie positive, de lien avec soi et avec autrui. C'est le message du film Goendama. Cette énergie élargit notre horizon. On le voit avec le travail avec la Ville, le Théâtre des Amandiers, la DRAC et l’ARS. L’exposition et le film de Lionel Monier, Les Résidents de la République, sont la concrétisation du travail réalisé avec les résidents et le personnel pendant sa résidence filmique en 2009. Les résidents et ex-résidents du CASH qui ont joué dans Les Fiancés de Loches mis en scène par Jean-Louis Martinelli en 2009, ont montré qu’ils savaient être acteur de soi et acteurs sur la scène, s’adapter et tenir un engagement. Tout ceci nous invite à repenser nos pratiques et à penser la vie dans sa complexité. « Il y a du spirituel dans l’art », dit Kandinsky.
Michèle CHANG ,Chargée des affaires culturelles, CASH de Nanterre
“Un constat commun et universel s’impose : les arts éveillent des émotions profondes chez la personne hospitalisée ou en situation de réinsertion sociale. Ils agissent comme un stimulateur et incitent la personne en souffrance à se mettre en mouvement. Les arts lui offrent une perspective jusqu’alors inconnue.”
A l’occasion de cet évènement à la Maison de la musique de Nanterre, auquel elle a participé le 30 Novembre 2010, Michèle Chang nous communique :
“Le parti pris avec Dominique Laulanné, directeur artistique de la Maison de la musique de Nanterre, est d'aborder la question de l'art non du point de vue de la politique, mais du sens et des effets, de la relation de l'art et de la vie. C'est une partie que je vais développer dans ma thèse.”
Faites-lui parvenir vos suggestions ou vos commentaires.
Michèle Chang
Chargée des affaires culturelles
06 19 80 79 18